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BARRANCA
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BARRANCA / CHAPITRE 5 / PARTIE 1

7/28/2017

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BIENVENUE DANS CETTE AVENTURE DÉJANTÉE. Chaque vendredi retrouvez ici BARRANCA en lecture libre. 

​Résumé : Leurs examens réussis, à la suite d'un pari de jeunesse insensé, Victor et Romane se sont donné rendez-vous dans une petite ville inconnue, du sud des Etats Unis, Santa Clara. Victor trouve à se loger dans la pension glauque de Mamma Gloria. Romane arrive à son tour.


Le temps s'était franchement dégradé. 
Les radios confirmaient que la dépression prévue pour la nuit prochaine s'était transformée en une violente tempête de classe quatre. Le mercure était descendu à neuf cent soixante-dix millibars. Aucune chance qu'elle passe à côté. On allait y avoir droit d’ici quelques jours. Les bourrasques entraînaient déjà des hordes de papiers qui volaient en tous sens et finissaient perchés sur les poteaux électriques. Il valait mieux se planquer.
Le soir tombait. Plus un seul bus n'était en service. Malgré le danger, avec Romane, on était remonté à pied depuis la gare routière. Les dernières automobiles, les camions, les fourgonnettes, les motos, même les vélos quittaient la région. La ville s’était vidée comme un siphon.   
À mesure que nous remontions vers la rue N, la verdure se faisait plus rare, les voitures plus abîmées, les rues plus étroites, les escaliers en fer plus rouillés. Les poubelles défoncées rendaient chaque coin de rue plus lugubre. Nous entrions dans la couleur rouge brique des quartiers pauvres. Ça donnait l'impression de dégringoler dans la cave de la ville. Le temps pourri n’arrangeait rien. Le ciel était devenu plus menaçant que jamais. La pluie pénétrante avait détrempé les revêtements et rendait les façades encore plus sinistres. Romane et moi, nous terminions en courant les cent cinquante mètres qui nous séparaient de notre piaule en évitant les flaques d'eau. En quelques secondes nous dégoulinions de toutes parts. On avait mis des sacs plastiques sur nos têtes mais les bourrasques faisaient voler nos capuches de fortune. Pas de lumière sur la façade. Le vélo sans roues, accroché à son antivol ballottait au vent dans un concert de « clang clang ». Les occupants de l’immeuble avaient tous déserté. La porte d'entrée claquait et la pluie s'était répandue jusqu'au milieu du couloir.
- On dirait que le Japon a détalé ! Fis-je.
On avançait sur la pointe des pieds, enjambant les plus grandes flaques. Mamma Gloria avait disparu aussi. J’imaginais qu’elle avait rejoint la horde des prétendants au départ dans la salle d’attente de la gare routière. 
- Tu as vu ta tête ? C'est pas avec un brushing pareil que tu seras élue !
Romane se contenta d’un sourire. 
- T'as vu la tienne ! C'est vrai qu'elle est plus compatible avec l'idée qu'on se fait généralement d'un globe trotter... 
Elle regarda en arrière le ciel menaçant avant d’ouvrir la porte. 
Je n'avais jamais cru aux forces divines ni aux signaux surnaturels. Je haïssais l'idée même qu'un homme puisse ne pas être maître de son destin. Mais là je dois dire que le ciel m'en mettait plein la gueule.
- Super, en tout cas, le plan du globe terrestre de la classe de quatrième ! 
Dit-elle en franchissant le seuil de notre refuge.

Depuis quelques jours, le vent avait encore forci. Les bourrasques ballottaient dangereusement les enseignes. L'avenue Alameda était jonchée de flaques d'eau. Toutes sirènes hurlantes les voitures de la sécurité civile annonçaient par haut-parleur l'arrivée imminente de la dépression. La voie enregistrée du Maire priait les passants, pour leur sécurité, de se rendre dans un des abris mis à leur disposition par la municipalité. 
- C'est pour ce soir le grand déferlement, on dirait, Victor. 
- Oui, la tempête sera sur nous, d'ici quelques heures... 
- Drôle de temps pour un anniversaire ! 
- Pourquoi dis-tu ça, Romane ?
- Parce que c'est le tien, Victor, c'est ton anniversaire aujourd'hui, tu ne t'en souviens jamais ! Ça te fait dix-neuf, non ?
- Anniversaire ! C'est vrai, j'avais complétement oublié ! Dix-neuf ? Oui, dix-neuf !
- Il va falloir fêter ça, de toute façon… Comme tu voudras… 
- Nous sommes à deux pas de la frontière du Sud, Romane... On n'en a jamais été aussi proche... C'est le moment ou jamais... La Mer de Cortez, tu te souviens ? 
- Ne recommence pas avec ça... On est aussi à côté de Cuba si tu vas par là... On était là pour quelques jours, on l'avait dit, et toi tu reviens à la charge... C'est la fuite en avant, Victor... Vacherie de flotte, on est trempés, tu as bien choisi ton bled ! J’ai un billet retour en avion et je ne sais même pas si les avions décolleront…  
 - Tu veux retourner dans cette foire ? Changer le système de l'intérieur, comme tu dis… Les partis et les syndicats, ça fait des années qu'ils nous serinent le même discours, Romane... Sais-tu ce qui s'est passé le vingt-huit février ?
- Le vingt-huit février ?
- Le vingt-huit février mille neuf cent soixante-neuf. 
- C'est un mouvement politique ?
- Non, c'est le jour où un navigateur solitaire a décidé de renoncer à la course autour du monde qu'il menait pourtant en tête. Alors qu’il était sur le point de franchir la ligne d’arrivée, il préféra ne pas empocher la forte prime promise au vainqueur. C’est un acte incroyable, une date historique ! 
- Et pourquoi il a fait ça, ce type ? 
- Ce mec était parti, un an plus tôt de Plymouth, en Angleterre, à bord d'un bateau construit selon ses propres plans. Il avait bouclé les trois quarts de la course, lorsqu'il a compris cette chose essentielle : Il était plus dangereux de regagner son port d’origine et de retrouver la civilisation que de continuer, même si pour cela il devait repasser par le cap de Bonne-Espérance et risquer sa vie dans les quarantièmes rugissants… Ce type s’appelait Bernard Moitessier, j’ai son bouquin, là.
- Et dans quel but tout ça ?
- Pour rester lui-même ! Pour ne pas se compromettre. Il avait compris le danger pour l'âme que représentait la civilisation moderne. Il avait compris cela parce qu'il s'en était extrait. Observer de l’extérieur, c'est ça la condition pour le véritable changement. C'est ce geste, ce renoncement, malgré l'appât de la victoire. Il y a des choses que l'on ne peut pas comprendre si l'on est à l'intérieur.
- Tu parles, Victor, tu parles toujours... Ça fait quelques années, que tu gloses sur le thème de l'obsolescence de la classe politique. Je connais ton discours par cœur. Laisse-moi rigoler... Tu vises quoi, toi ?
- Romane, tu regrettes tes quarante mètres carrés à la tour du Vieux Pont ? 
- Ici on a combien de mètres carrés, dix, douze ?
- On a fait le plus dur... Le plus difficile était de partir !
- Pour faire quoi ? Pour aller où ?
- J'ai une idée, Une idée de fou ! Grosse comme un immeuble ! Je ne t'en ai pas parlé encore...

(À SUIVRE)
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BARRANCA / CHAPITRE 4 / PARTIE 2

7/21/2017

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BIENVENUE DANS CETTE AVENTURE DÉJANTÉE. Il y a 56 épisodes. Chaque vendredi retrouvez ici BARRANCA en lecture libre.

​Résumé : Leurs examens réussis, à la suite d'un pari de jeunesse insensé, Victor et Romane se sont donné rendez-vous dans une petite ville inconnue, du sud des Etats Unis, Santa Clara. Victor trouve à se loger dans la pension glauque de Mamma Gloria, en attendant l'arrivée de Romane.

Je lui claquais presque ma porte au nez. Ça faisait douze heures que j'attendais le moment de me débarrasser de mon stupide blazer à boutons dorés et de me poser enfin. A cette heure, le ciel était encore un peu dégagé mais le risque de voir débouler la dépression n'était pas exclu. La météo n'était jamais certaine à cent pour cent. De toute façon, il était trop tard pour renoncer. Romane arrivait dans deux jours.
Au matin, je m'activais pour constituer un stock de survie. Poudre lave-vaisselle, détergent puissant et quelques vivres. Pour la bouffe, il n’y avait pas de frigo dans la piaule. Il y avait bien celui de la cuisine commune, mais l'expérience de la baignoire m'avait refroidi. Tant pis, je me rabattrais sur les conserves. La petite supérette au coin de la rue N et d'Alameda ferait bien l'affaire. De toute façon il n'y avait rien d'autre à la ronde et je n'avais rien de fracassant à entasser.
- Soupe de tomates, quatre boîtes ; cannelloni en sauce, six boîtes; pâté de lièvre à cinq pour cent de lièvre garantis, trois boîtes; deux pains en tranche; café soluble, un dentifrice...
- Je vous conseille aussi des bougies ! Fit l'épicier, d'un air entendu, par delà une pile de conserves de haricots.
- Des bougies ?
- Avant qu'il n'y en ait plus...
- Et quoi ?...
Le mec parlait en rangeant son tiroir caisse. Je contournais le coin du rayon des boîtes de petits pois.
- Vous n'êtes pas d'ici, ça se voit... Les ouragans, ça ne respecte pas la civilisation, ni les lignes électriques... Vous en aurez besoin s'il se pointe par ici, car dans ce cas, c'est le noir absolu... Elles sont là-bas au fond, près des allumettes. Enfin, moi je vous conseille plutôt de décamper… Je ne sais pas ce que vous êtes venu faire par ici, ce n'est pas mes oignons, mais ils annoncent que ce ne sera pas une partie de plaisir… Prenez la route pendant qu'il est encore temps. Moi, c'est pas pareil, je ne peux pas fermer à cause du stock et des pillards, vous pigez ?
D'un mouvement du poignet, il me montra que lui aussi aurait volontiers pris la tangente par la voie express du Nord.
- Merci, fis-je, J'attends quelqu'un… C'est pour ça que je reste… On aime bien la pluie, avec ma copine…
- Des dingos !
- Je loge un peu plus loin, chez Mamma Gloria, fis-je au moment de payer.
Sans doute la vieille toucherait-elle une petite commission. C’était de bonne guerre.
- De toute manière, ce n'est pas encore sûr que la tempête vienne jusqu'ici ? Je questionnai pour me rassurer.
- Ça peut encore bifurquer sur la Louisiane ou se désagréger en mer… Mais ne comptez pas trop là-dessus. Il vaut mieux s'attendre au pire, sinon vous n'aurez plus le temps de faire face.
Je quittai la supérette, chargé de mes achats. Au coin de la rue, je m’arrêtais un instant pour observer cette immense avenue Alameda qui descendait au loin jusqu'à la baie. On devinait la mer avec sa brume permanente. Tout cela ne pouvait pas être neutre. Une rafale de vent me tira de mes pensées et faillit emporter mes paquets.

En deux jours, la pièce était devenue presque confortable. Trois casiers à bouteilles et un cageot constituaient un mobilier high-tech de premier choix. Je passais le reste de la matinée à astiquer les salles communes, surtout la baignoire, avant d'aller chercher Romane à la gare routière.

​(À SUIVRE)
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BARRANCA / CHAPITRE 4 / PARTIE 1

7/14/2017

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BIENVENUE DANS CETTE AVENTURE DÉJANTÉE. Il y a 56 épisodes. Chaque vendredi retrouvez ici BARRANCA en lecture libre. 

Résumé : Leurs examens réussis, à la suite d'un pari de jeunesse 
insensé, Victor et Romane se sont donné rendez-vous dans une petite ville inconnue, du sud des Etats-Unis, Santa Clara. Victor part à la recherche d'un point de chute pour se loger.
​
​La rue était lugubre, étroite et symétrique. De part et d'autre, des maisons de deux ou trois étages, toutes identiques en briques rouges. Des petites avancées de quelques marches, parfois munies d’une pauvre jardinière, rejoignaient les entrées surélevées, sous les passerelles de secours en fer noir comme dans West Side Story. Chaque immeuble en possédait une. 
J'avais traversé la ville à pied depuis la gare routière. J'étais planté devant le 2021 de la rue N. Un petit immeuble en briquettes sales. L’escalier métallique dégoulinait sur une façade neurasthénique. Trois marches et l'entrée surannée me faisaient face. À droite sur le perron, deux bicyclettes étaient cadenassées à la rambarde devant la fenêtre de droite entre deux pélargoniums crasseux. Un peu plus bas un troisième vélo dont il ne restait que le cadre accroché à un poteau, semblait défier les premiers. De part et d'autre du perron, deux baies vitrées à guillotine. Par la fenêtre de droite, j'apercevais un drapeau chilien punaisé au-dessus d'un chambranle et une toile abstraite sur un mur très pâle. J'alpaguais les deux japonais en cirés jaune qui sortaient en trombe.
- Christine B. White, vous connaissez ?
Ils se regardèrent.
- Connais pas... Y a la logeuse. Mamma Gloria, elle s'appelle.
Tout en sautillant pour ne pas s’arrêter, ils montraient le fond du couloir après la porte d'entrée. Ils étaient au milieu du trottoir lorsque le plus petit ajouta :
- La porte au fond... La troisième, mec, excuse, on doit attraper le dernier bus…
Je grimpais les trois marches du perron...
- Christine B. White, c'est ici ? 
- Vous êtes qui, c'est la police ?
Mamma Gloria était affalée derrière ce qui avait dû être autrefois un bureau et présidait à un empilement de papiers divers. Notes manuscrites, quittances de loyers et mises en demeures se mélangeaient avec de vieilles listes de commissions à la supérette.
- Je suis un ami…
- Qu'est-ce qui me dit que c'est vrai ?
- Vous avez vu l'heure ? Je suis crevé, je n'ai pas dormi…
- … Et ça prouve quoi ?
- Je vous assure que…
- Ça va, ça va…Me racontez pas votre vie… Christine B. White, ça me dit quelque chose... Attendez...
Gloria jeta un œil sur une liste gribouillée d’un cahier aux spirales aplaties.  
-  Une petite brune avec un chien ?
- C'est ça !
En réalité, je n'en savais rien. Christine B. White, je ne l'avais jamais rencontrée. J'avais répondu ça pour ne pas éveiller la défiance de Mamma Gloria. Un type dans le bus m'avait recommandé son nom quelques heures plus tôt. Deux arrêts pipi et un coke au distributeur ça crée des liens. Le type était descendu trois arrêts avant Santa Clara en m'affirmant que c'était une connerie de continuer. Il semblait bien connaître cette fille. Il l'avait connue autrefois, ils avaient été un temps colocataires. Ça paraissait du solide. En voyage, une adresse, c'est toujours une aubaine. Un point de chute, une oasis. Une amitié rassurante, un conseil, tout est bon. 
Mamma Gloria fit glisser verticalement son index qui laissa une trace sombre sur la liste manuscrite.
- Elle n'habite plus ici... Elle a déménagé le mois dernier... 
Le tuyau était éventé. C'était mal barré, j'avais traversé toute la ville pour arriver ici et l'oiseau s'était envolé. 
- C'est pas de bol ! Fis-je en dégoulinant... 
Mamma Gloria s'impatientait. Tout y était.
- Vous avez sa nouvelle adresse ?
- Non, m'sieur... Et si je l'avais je ne vous l'aurais pas communiquée. Elle devait venir elle-même chercher son courrier... Jamais venue, cette petite, jusqu'à maintenant ! Si vous voulez mon avis, elle ne repassera jamais. Ces gens-là… 
- Ça va… Fis-je, dépité.
J'étais planté. La bandoulière me sciait l'épaule. Il n'y avait pas de consignes dans les parages pour y laisser mon sac en attendant de trouver mieux et le cash-flow qui descendait.
- Vous louez des chambres ?
Mamma Gloria se redressa.
- …Pour une nuit, précisai-je.
Elle fit un signe négatif de la tête. 
- Une semaine minimum ! Avec la tempête qui risque de venir, c'est payable d'avance avec une caution pour les meubles. Vous voulez voir ? 
À la réflexion, c'était sûrement moins cher qu'une chambre au Marietta. 
- Je peux voir !
Elle se ravisa.
- Vous avez du fric, au moins ? Je vous fais voir, si vous avez du fric... Sinon, c’est pas la peine. Opina-t-elle d'un ton monocorde et sans conviction.
- De toute façon il ne m'en reste qu'une. Elle ajouta. Les gens sont partis mais ils ont laissé leurs affaires.
Elle dodelina un imposant derrière tout au long du couloir sombre. Nous progressions au son du claquement de ses savates sur le vieux parquet. La première à gauche après la porte d'entrée était la chambre libre. 
- Voilà, C'est tout ce que j'ai… Vous avez le fric ? 
Je fis signe que oui de la tête en fouillant mes poches. 
La chambre était simple et assez vaste. Elle donnait sur la rue par une large baie de trois fenêtres à guillotine que recouvrait le léger voile des rideaux usés jusqu'à la corde. L’immeuble d’en face y étalait sa façade de briques humides. La pièce était claire. Au bout du couloir à droite, se trouvait la cuisine. Huileuse à tomber par terre. À gauche, dans la salle de bain commune, trônait une vieille baignoire à sabot dont l'émail portait encore les traces du dernier lavé : Une ligne marquait le niveau de l'eau le plus élevé, délimitant deux degrés de saleté : gris clair au-dessus et gris foncé assorti de quelques grumeaux au-dessous. Dans ce marécage grumeleux, les traces d’écoulement laborieux allaient jusqu’à la bonde... 
Crado à souhait, mais c'était une piaule et c'était à prendre ou à laisser. Et vite. Mamma grommela :
- La caution n'est pas remboursable, même s'il y a des dégâts causés par la tempête… Prenez vos précautions... 
Je payais pour la semaine. Je lui glissais le rouleau que j’avais prévu à cet effet, y compris la caution. « Ensuite, on verra », pensai-je. 
- Il y a un téléphone à pièces, il est sur le mur du couloir, au fond.
- J'ai vu…
- Enfin, s’il marche ! Ici, les gens ne font attention à rien. Fit Mamma Gloria en empochant les billets sous sa blouse. 
- Au fait, si vous avez besoin de quelque chose, appelez Mamma Gloria… C'est moi, je suis dans la loge…
- Les japonais m'ont dit… 
Elle s'imposa encore.
- … Il y a une petite supérette au coin d'Alameda. Il a tout… Vous pouvez y aller de ma part…  

​( À SUIVRE)
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BARRANCA / CHAPITRE 3 / PARTIE 1

7/7/2017

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BIENVENUE DANS CETTE AVENTURE DÉJANTÉE. Il y a 56 épisodes. Chaque vendredi retrouvez ici BARRANCA en lecture libre. 

Résumé : Leurs examens réussis, à la suite d'un pari de jeunesse
insensé, Victor et Romane se sont donné rendez-vous dans une petite ville inconnue, du sud des Etats Unis, Santa Clara.Victor arrive...

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​​23h37. Depuis quelques kilomètres, les petites enceintes acoustiques placées au-dessus des sièges crachotaient ces chuintements horripilants qui tombaient comme des fléchettes sur les oreilles des passagers écrasés de sommeil. Dans ce son nasillard, la météo répétait en boucle les risques de tempête. Le ciel n'était pas encore menaçant, mais les stations côtières conseillaient à tous ceux qui le pouvaient de prendre la tangente. Les petites veilleuses individuelles s'étaient allumées comme un présage. 
C’était le moment que j’avais choisi pour arriver. 

Deux jours et une nuit que je vivais engoncé dans ce fauteuil avec juste quelques arrêts pipi pour décoincer lorsque le Greyhound s'immobilisa devant le néon lumineux. 
Venir jusqu'ici, c'était la conséquence du genre de pari que l'on fait à dix-huit ans, alors qu’on pose son doigt au hasard sur le globe terrestre de la classe de géo. Impossible de prévoir trois mois à l'avance qu’une tempête tropicale se pointerait au même moment. Un premier saut en avion m'avait conduit jusqu'à New York, puis j'avais traversé le NewJersey en stop et descendu vers Knoxville. Un vieux camion m'avait déposé en pleine nuit dans un truck-stop près de Tulsa dans l’Oklahoma. Il se faisait tard, plus de lift, j'avais finalement choppé le dernier bus en direction du sud. 
Santa Clara. Les lévriers argentés vibraient encore sur la carlingue, mais le voyage se terminait ici. Repos pour tout le monde. L'impressionnant cube conditionné se vidait des trois pelés que des destins divers avaient conduit à rebrousse poil dans la tourmente en quête d'un job. Les ouragans en semant la misère laissent derrière eux de quoi se remplir un peu les poches. Encore fallait-il prendre le risque et ne pas attendre la fin de la tempête. Les premiers sur place sont toujours les mieux servis dans la quête de ce genre de petits boulots. La carlingue me dégorgeait à mon tour. Trente degrés en pleine poitrine additionnés de quatre-vingt dix-huit pour cent d'humidité. Il n’était pas encore minuit. Ça avait dû sacrément chauffer durant la journée. 
Mais pourquoi donc avais-je gardé ce blazer démodé juste bon à amadouer les examinateurs quelques semaines plus tôt ? Il n'était ni souple, ni ample et ça n'avait rien du Barbour de routard. "On ne sait jamais" m'étais-je dit au moment de le tasser au fond du sac. C'était la plus débile des raisons. 
Néons verdâtres, sol glissant. Je fonçais en suivant la petite troupe vers le café de nuit à l'enseigne clignotante rose bonbon de la gare routière. Vacherie d'air conditionné. Le froid figeait la sueur sous le blazer. Tout était pâle, jaune et bleu : Formidable Formica. Je posais mon sac sur le carrelage douteux. Où aller ?  

1h45. Ahuri encore sous le coup de la fatigue. Attendre, il ne me restait plus qu'à attendre le petit matin, comme les autres. Je jetais un regard circulaire. La salle de la gare routière était pleine à craquer. J'avais besoin de m'asseoir. La plupart des bougres qui étaient entassés ici cherchaient à fuir la tempête annoncée pendant qu'il était encore temps. Les autres débarquaient à contre sens en quête d'un boulot quel qu'en soit le prix. Moi, je venais à la rencontre d’un autre destin. On étaient tous mélés. Fatigués. Tout ce que je trouvais c'était un siège en bois moulé où séchait encore un fond de sauce McDo. Je m’y posais quand même.
- Au fait, où sont mes papiers et mon petit carnet d'adresses qui ne me quitte jamais ? Et mon sac ? 
Je ne le voyais même plus. Il était en travers sur la chaise en bois moulé. Je m'étais assis dessus. Il balottait dans mon dos depuis Clamart et je ne le sentais plus. Je ne faisais plus gaffe, trop fourbu, saoulé par toutes ces heures dans le bus. Il fallait que j'attrape mes papiers et le petit carnet. Je fermais les yeux et je plongeais les avants bras dans la poche principale, je tâtonnais quelques longues secondes... Je le sentais enfin sous mon blazer plié au fond du sac, le précieux petit carnet et mon fric vaillamment gagné en faisant le pion dans un collège d’enseignement technique à Suresnes. Tout était là. 
Un instant j'avais eu peur de la fauche, mais il n'y avait pas réellement de risque. Tous ces gens qui s'entassaient tant bien que mal les uns contre les autres en attendant un prochain départ, s'emmerdaient à voir défiler les heures, s’occupaient à houspiller les gosses. Tout ça puait l'exode, pas l'arnaque. 
Il y a ceux qui prenaient la tangente pour cause de météo furibarde. Ça en fait de la populace et pas des plus fortunées. Pour les uns, ce départ était un sacrifice imprévu vers un cousin éloigné sur la route du Nord qui pourra les abriter en attendant que le ciel se calme. Ils étaient assis avec leur famille. Les hommes étaient fatigués et minables, les femmes obèses et avachies, les gosses bronzés au néon suçaient leur doudoune en se vautrant par terre. Les sacs décousus étaient étalés çà et là avec leurs grosses ficelles rugueuses...
Pour d'autres, dans le sens inverse, c'était, malgré le malheur qui risquait de s'abattre, l'espoir d'un job même mal payé. Ceux-là étaient venus, alléchés par le travail prédit par les dégâts que causerait inévitablement la tempête, si d'aventure elle se pointait ici. Un toit arraché par-ci, une baie vitrée explosée par là. Et du travail au noir, si possible ! Un hypothétique Eldorado d’indigent. Dans les pays riches il y a ces oubliés qui rôdent dans les gares et les aéroports. Pas croyable ! Oubliés entre deux horaires. 

Les gosses eux, ils s'en foutaient, ils suçaient la sauce McDo et la crasse sur la doudoune. Ça pleure parfois... Ça claque en retour. Et ça gueule, ça réprimande, ça essaye de dormir, ça se pousse les uns les autres avec leurs gros-culs... 
De temps en temps, un gosse se risque jusqu'au kiosque attractif de la presse. Totote dans le bec, il se fige, oscillant de fatigue, face à la vitrine inaccessible, il tire sur sa tutute... Il reluque les BD ou les GI Joe. Il y a du rouge et des mitraillettes, des voitures, des sucettes. Il y a de tout, de quoi tuer le temps, de quoi rêver. Des bonbons chimiques, des journaux collants, des pieds qui puent. Ils sont faits les uns pour les autres... Les plus aisés étaient partis par la route depuis belle lurette dans leurs 4x4 climatisés. 
La sono diffusait des avis de tempête entre deux "ding-dong". À travers la baie vitrée, j'aperçus un bus repartir à vide vers le dépôt dans un rugissement de turbine. Mon regard s'arrêta sur le Marietta Hôtel, juste en face, dont la faible lumière de l'enseigne se reflétait sur le bitume. 
Le tableau n’était pas glorieux. Lorsqu'on part, on ne pense pas toujours aux arrivées. C'est mieux ainsi car c’est parfois si rebutant qu'on ne partirait jamais. Mais c’est toujours par là qu'on arrive. Pourtant il fallait partir... C'était l'année où il fallait partir. Après avoir traversé le pays en stop, je me retrouvais dans cette ville à la dérive, à attendre l'arrivée de Romane avec la forte perspective d'une tempête tropicale imprévue au programme... Je prenais violemment conscience que j’avançais vraiment à contre courant et que le pari était risqué mais il était trop tard pour faire marche arrière.
- Me voilà à bon port, pensai-je piteusement. 

Il n'était pourtant pas question de moisir dans ce dépôt. Le Greyhound n'était pas compté dans mon budget. Avec mon pécule de surveillant d’apprentis chaudronniers, j'avais plutôt projeté de faire tout le trajet en stop, mais je n'avais pas eu le choix, personne n'allait plus dans cette direction. Il me faudrait, dès la première heure dénicher une piaule abordable pour accueillir Romane d’ici quelques jours. Nous en avions convenu ainsi. Le fric filait. Il fallait faire vite et espérer que la tempête ne serait pas trop rude. 
Une main me tapa sur l’épaule. D'une voix douce, un visage un brin hirsute se pencha et me chuchotta sur le ton de la confidence. Je ne regrettais pas les leçons d’anglais de mon père : Il me parlait dans sa langue natale depuis mon plus jeune âge et à cet instant, je n’avais aucune difficulté à comprendre que l’échevelé me proposait un circuit touristique sur la région.
- Ici, à minuit dans cette tourmente ? N'importe quoi, je rêve ! Il veut me vendre quoi ? Il me fait chier ce mec. Je fais la grimace, il comprend que je ne suis pas client... 
Y a-t-il seulement un client pour lui ici ce soir ? Il fait probablement ce manège toute l'année, lorsque les touristes affluent et il continue machinalement, espérant encore quelques affaires au milieu de ces laissés pour compte. Il fit demi-tour sans se démonter, sans s'offusquer de ma rudesse. Probablement l'habitude de se faire rembarrer. Drôle de vie nocturne. Comme il y a les moules accrochées sur leur rocher qui vivent du plancton qui passe à proximité, lui subsiste avec ses cartes et ses circuits touristiques agrippé à sa gare routière. Indépendamment de l’heure et de la météo. Ici, à cette heure où il n'y a plus un seul touriste, il guettait les miettes qui pourraient tomber d’on ne sait où vu l’état miteux de la clientelle de ce soir. Il s'éloigna de quelques pas, puis il se ravisa. Il revint et me tendit un plan de Santa Clara.
- C'est gratuit, me glissa-t-il gentiment.
Bien fait pour ma gueule, je suis un sombre abruti, apeuré et méfiant. 
Je le saluai et voulus le remercier. Il filait déjà vers le fond du hall. Je dépliai la ville, immense, sillonnée dans tous les sens, un capharnaüm dont l'arête centrale était une longue avenue du nom d’Alameda. Un instant, ne savais plus très bien sur quel pied danser. Par où commencer ? 
- On verra demain. C'est ça, on verra demain, répétais-je, fataliste, en m'enfonçant sur mon siège en bois moulé aux relents de McDo, dans l’espoir de dormir un peu. Mais demain, on y était déjà.

2h15. Le dernier bus défilait derrière les baies vitrées et s'arrêta devant la porte principale. Une voix annonça un départ imminent guichet trois. Des sortants aux gueules de revenants livides se levèrent. D'autres prirent leur place aussitôt pour attendre le prochain départ au petit jour. Ficelle sous le bras, mioches réveillés, tototes oubliées, larmes. 
Au loin derrière la baie vitrée, une enseigne luisait, seule dans le noir : "Marietta Hôtel". Je rêvais de draps secs et propres. À quelques mètres d'ici, un saut de puce, une enseigne dans la nuit, tentation supplice. Pas assez de fric. L'enseigne tremblait, la vitre était embuée par la climatisation. Ici ça puait. 

3h25. Impossible de dormir. Il était temps de se bouger le cul. Faire quelque chose pour tromper l’ennui et le sommeil. Bouger pour se donner l’impression d’agir et qu’on ne perd pas son temps. Le kiosque clignotait. Bouffer... Pourquoi pas ? La fatigue me narguait. Cinquante centimes dans ma poche. coke : 20 centimes. Le fric qui file à toute vitesse. Le comptoir en alu m'accueille, le môme a filé retrouver sa mère... 
- Un hot dog et un coke... Je demande. 
On verra bien...
Machinalement je saisis mon petit carnet d'adresses noir, dans un reflex je tourne les pages. 
- C'était quoi déjà le nom de cette fille ? Christine B. White… C’est ça. Ah ! Voilà : Christine B. White, 2021 rue N... Merde, pas de numéro de téléphone…
Je terminais la saucisse sur une note de moutarde. Je rangeai le petit carnet. Je rotai un coup. Je m'enroulai le sac autour de la taille et posai ma tête sur la valise entre deux familles étalées, entre deux rugissements de turbine. 
- On verra demain. Adieu Marietta Hôtel, à nous deux, Christine B. White !

(À SUIVRE)
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