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BARRANCA
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BARRANCA / ÉPISODE 18

9/29/2017

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Résumé : En conduisant son minibus tout juste acheté d'occasion, Victor fait un tonneau sur la plage. Il est sauvé à la nuit tombante par une frêle jeune femme en bolide rouge...

– Tu rigoles ! La mer, on ne sait pas ce qu’on y rencontre... Il y a des algues et des crabes et tout un tas de trucs… Pouah ! Je préfère nager dans ma piscine ! 
Je réalisai que Caroll ne s’était jamais baignée dans la mer ! Comment avait-on pu en arriver là ? Elle baissa le son de l’autoradio et repassa son pouce jusqu’à la pointe du col de sa chemise. 
– Tu as vu les rubans rouges et bleus sur l’antenne radio ?
C’était suffisamment flamboyant pour que je ne les rate pas. Les franges de couleur vive flottaient comme un étendard. Depuis son irruption sur la plage, je ne voyais qu’eux. 
– C’était qui la mariée ?
– C’est pour King !
– King... Kong ? 
J’en rajoutais maladroitement, mais je ne voyais pas vraiment qui aurait pu être affublé d’un tel patronyme, à part ce grand singe et Elvis Presley.
– Je meurs de rire ! King Arthur, c’est mon collège. Ne plaisante jamais avec ça, Victor. 
– Alors il n’y a pas de mariage ? 
– Ben non ! Rouge et bleu, c’est les couleurs de King Arthur... À la fin de l’année, c’est la fête du lycée, il y aura une kermesse qui sera conclue par un grand match de basket contre l’équipe du collège de Veracruz... Chaque année, on rencontre une ville différente, alors, pour financer tout ça, chaque élève de King Arthur doit vendre le plus possible de rubans... Pour remplir les caisses, tu comprends ? Voilà… Elle rit de bon cœur. Je t’en propose... si tu veux...
– Oh là, là ! En ce moment, tu vois, je suis comme fauché et ce n’est pas ce qui m’arrive aujourd’hui qui va améliorer la situation, mais promis, dès que je me refais un peu, je participerai.
– Du boulot, tu dois pouvoir trouver ça en ville en ce moment... avec les dégâts de l’ouragan. Je te propose un marché : viens à King Arthur un de ces jours, on est en pleine préparation de la fête, on n’a pas trop de petits bras, tu nous donnes un coup de main et on sera quitte...
Caroll ne perdait pas le nord.
La nuit était totalement noire. Ça faisait un moment que nous avions quitté la plage et nous roulions à présent sur le bitume. Caroll parlait sans s’arrêter de King Arthur, de ses boums, de sa copine Judy et du match de basket de fin d’année contre le collège de Veracruz. Un vrai moulin. Nous passâmes Santa Clara-South Pass et le pont-levis de l’entrée du lagon. 
– Ce sont les premiers colons arrivés ici qui ont construit ce pont au début du siècle. Autrefois, tout cela n’était que des marais. Ils les ont asséchés. 
Elle m’indiquait la lande sur la droite de la route. 
– À l’époque, le pont rejoignait les deux rives et débouchait sur South Pass. Au début, c’était un petit village de pêcheurs sur la presqu’île, puis c’est devenu le port. Tout le trafic commercial de Santa Clara transitait par là. Une voie ferrée longeait la côte et apportait les marchandises sur la terre ferme. En ce temps, South Pass et son petit chemin de fer ont permis à Santa Clara de devenir une ville opulente. Époque révolue ! fit Caroll dans un rictus amusé. 
– Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle...
– Tu ne vois pas ce qu’il y a de drôle parce que tu n’es pas d’ici. Aujourd’hui, Santa Clara a absorbé South Pass et tout ça est devenu la station balnéaire en vogue que tu vois aujourd’hui. C’est drôle, non ? 
Je hochai le menton pour lui faire plaisir. 
– Ce qui est moins drôle, c’est qu’en 1936 le pont a été emporté par un ouragan. Ce fut un des plus violents jamais vus sur cette côte, un classe cinq… Ce sont les plus terribles. 
Santa Clara a été balayée cette nuit là. Un peu comme hier soir, mais encore plus violent. Tout a été inondé par une déferlante de plus de sept mètres de haut. Le niveau de l’eau est monté si vite que beaucoup d’habitants n’ont pas eu le temps de se mettre à l’abri. Le pont a été emporté. Encore aujourd’hui, les esprits sont très marqués par cette catastrophe. Mais, ici, personne n’aime parler de ça.
– Ça a dû être une épreuve terrible...
– Même mes parents n’en parlent jamais... Santa Clara existe toujours, mais le port marchand n’a jamais été reconstruit. La ville a trouvé la voie du tourisme. Les élus ont développé ce côté balnéaire... Mais, depuis cette catastrophe, Santa Clara a un mauvais rapport avec les ouragans...
– Et South Pass, c’est devenu quoi ?
– Tu vas te rendre compte par toi-même : c’est là qu’on va... 

​(À SUIVRE)
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BARRANCA / ÉPISODE 17

9/22/2017

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Résumé : En conduisant son minibus tout juste acheté d'occasion, Victor fait un tonneau sur la plage. Il est sauvé à la nuit tombante par une frêle jeune femme en bolide rouge...

​– J’allais rentrer de toute façon. Moi c’est Caroll... Alors, vraiment, ce n’est pas l’ouragan qui a retourné ton bus ? Je l’ai réellement cru tout à l’heure. Tu sais, c’était très possible, le vent a été extrêmement violent, il y a beaucoup de casse en ville...
– J’en viens... J’ai passé quelque temps dans le haut de la ville... Au niveau de la rue N. Je suis resté là-bas une semaine. J’ai quitté ma chambre ce matin et je suis allé à l’aéroport accompagner une amie. Un grand nombre de vols ont été annulés à cause de la tempête… Ma copine a pu partir... mais en l’occurrence, pour mon bus, le cyclone n’y est pour rien... 
– L’ouragan ! insista-t-elle. L’ouragan !
– Enfin oui, la tempête ! Bon, moi c’est Victor... Tu es restée en ville pendant cette… tempête ?
– Des ouvriers ont calfeutré toute la maison, on a mis des plaques de bois sur les portes et les fenêtres... Nous n’avons pas été trop touchés de notre côté. 
Elle fit une pause de quelques secondes avant de reprendre, professorale, en rythmant sa phrase : 
– Aussi parce que c’était un ouragan, Victor ! Il n’y a pas de cyclones par ici. Heureusement, parce que nous ne serions plus là pour discuter... C’est pour ça que je te reprends à chaque fois. 
J’observai son jeune profil en contre-jour dans l’embrasure de la portière. 
– Dans les ouragans, comme tu as pu t’en rendre compte si tu étais là dès le début, le vent forcit très rapidement. Il vient de la mer. Les papiers puis les bouts de toiture volent de tous côtés. Ça dure plusieurs heures de tourmente, puis ça se calme d’un seul coup. On croit que c’est fini. C’est parce qu’on est dans l’œil, le centre de la tempête. Et tout recommence de plus belle. Le vent repart mais dans l’autre sens... Les cyclones sont encore plus violents. Ce sont des ouragans en concentré ! Ils peuvent atteindre trois cents kilomètres à l’heure, quand dans l’ouragan les vents ne dépassent pas cent trente kilomètres à l’heure... Alors tu vois, il vaut mieux que ce soit un ouragan, fit Caroll sans attendre de réponse.
– Et c’est à toi cette... 
La question me brûlait les lèvres depuis le premier instant de notre rencontre mais je ne savais comment la poser tant elle pouvait paraître désobligeante. Mon hésitation la rendit encore plus balourde. 
– … C’est à toi cette voiture ? Ça fait au moins 350 chevaux, un truc pareil... 
Je regrettais déjà la question. La main de Caroll repassa dans ses cheveux, comme si le vent devait cesser. 
– 380 ! corrigea-t-elle. Mon père me l’a offerte en mai dernier pour mon permis lorsque j’ai eu seize ans. 
Je dus babiller que c’était un sacré cadeau et qu’elle avait sûrement un très gentil papa. Je m’étais un peu forcé pour trouver un compliment potable. Cette fille était nickel sur elle, son jean sortait sûrement du pressing. Elle le portait pour la première fois de la journée et ce soir il rejoindrait sûrement le panier de linge sale. Elle sortait de ces maisons où le lave-linge tourne dix fois par jour, toujours à moitié vide. 
En vérité, je pensais que décidément certains avaient le cul bordé de nouilles à la naissance et que cet ange-là devait avoir plus de blé que la moyenne des habitants de Santa Clara. Je la considérais avec ses petits plis bien mis le long de sa chemise, ses manches retroussées, son duvet blondinet sur les avant-bras. Comme dans un magazine féminin où les filles n’ont jamais un poil qui dépasse. Tout est bien rangé comme le plumet de ses avant-bras. Tous les poils dans la même direction, parallèles ! Dans ces magazines, rien ne dépasse, ni du slip, ni de la tête, ni de rien. Sans bavure, sans excès. J’imaginais des seins ronds dans des petits balconnets blancs, juste à la bonne taille pour les galber un peu, choisis avec délicatesse en prenant son temps. Des petits seins ronds, pas trop gros, pas trop vulgaires, un calibrage idéal pour appâter un prince charmant de bonne famille. Elle avait dû faire déballer toutes les boîtes, essayer une douzaine de modèles après s’être ravisée à chaque fois devant la vendeuse excédée qui souriait tout de même béatement. 
Ses mollets étaient fins et délicats. C’était suffisant pour presser doucement la large pédale d’accélérateur qui ne demandait que ça pour développer ses 380 chevaux. La Corvette avait une boîte automatique. On appuyait pour avancer, on appuyait pour ralentir. C’est tout. La vie de Caroll était aussi simple que ça : elle appuyait pour avancer, elle appuyait pour ralentir. Jusque-là, sa vie consistait juste à choisir ce qu’elle voulait. La Corvette obéissait et tous les objets de son univers obéissaient. 
Bon sang ! Sans même la ramener morale avec un pays comme la Mauritanie où un seul de nos robinets d’évier équivaut à deux années de salaire d’un berger avec ses chèvres, sans vouloir faire pleurer dans les chaumières avec des histoires de petits Africains qui ne mangent pas à leur faim, putain, tout de même, il y a des gens qui naissent avec juste ce qu’il faut, là où il faut !
– On se déplace très peu à pied, se justifia-t-elle. Tu n’es pas de la ville, ça se voit. Ici, on fait tout en voiture... 
Trois pélicans prirent leur envol en rasant les flots. Caroll augmenta légèrement le son de la radio. C’était encore ce tube matraqué en permanence entre deux avis météo depuis deux semaines.
– Tu fais tout en voiture... Tu ne nages pas avec ta Corvette tout de même !
– Dans la mer ? 
Caroll parut indignée.

(À SUIVRE) 
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BARRANCA / ÉPISODE 16

9/15/2017

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BIENVENUE DANS CETTE AVENTURE DÉJANTÉE. Chaque vendredi retrouvez ici BARRANCA en lecture libre. 

​Résumé : En conduisant son minibus tout juste acheté d'occasion, Victor fait un tonneau sur la plage. Il est sauvé à la nuit tombante par une frêle jeune femme en bolide rouge...

Nous roulâmes sur la plage un long moment. Je réalisai le chemin franchi pour arriver jusqu’à l’endroit de mon looping. Mes rêveries et les zigzags dans le sable m’avaient fait oublier la distance parcourue. La Corvette était confortable et silencieuse. La musique douce et les basses puissantes finirent de transformer le trajet en flânerie disco.
Je détestais cette idée de laisser mon bus abandonné comme ça sur le sable. Il était offert à d’indéfinissables visiteurs qui auraient toute la nuit pour opérer tranquillement. De plus, je pressentais que toutes les répercussions de ma culbute n’étaient pas encore achevées. Sûrement, au moment où j’étais mollement vautré sur la sellerie en cuir de la Corvette, quelques liquides continuaient de couler au profond de son âme métallique : l’huile d’olive devait dégouliner le long du matelas, s’imprégnant au cœur du kapok. Le restant de la bouteille de vin chilien de mon anniversaire s’étalait à coup sûr sur les duvets, glissant jusqu’aux sacs de riz. Heureusement qu’il n’en restait qu’un fond. Sans compter l’essence et l’huile du moteur qui se mélangeaient immanquablement avec le sable sur la batterie avant de se répandre comme un coulis sur la dernière part du quatre-quarts qui avait accompagné ma dernière soirée avec Romane, dans notre petite piaule de la rue N. Je pressentais que le merdier ne faisait que commencer. 
Depuis que nous avions laissé le combi, un silence gêné s’était établi dans l’habitacle feutré. Nous roulions au rythme du dernier tube de l’été, les lumières clignotaient comme sur le tableau de bord d’un Boeing. 
C’est tout juste si nous avions échangé un coup d’œil furtif. Tous les kilomètres, un panneau indiquait une aire de pique-nique équipée d’une table et de bancs en lourd bois brut. Trois étaient déjà dépassées. Chacun d’entre nous était retourné dans sa sphère après l’incident qui nous avait réunis. La chemise de mon ange gardien gonflait et ondulait sous l’effet du vent qui s’engouffrait par la vitre à demi baissée. Ses manches étaient retroussées jusqu’au-dessus des poignets. Le hasard venait de nous placer côte à côte. Qu’avions-nous de plus à nous dire ? Devais-je lui raconter le détail de mon double axel ? Étais-je tenu de lui parler de l’avion de Romane ? Devais-je aborder l’histoire de la tour du Vieux-Pont à Clamart ou de la façon de faire un quatre-quarts sans doseur ni balance, ou encore lui décrire les mois de sacrifices pour acquérir mon vieux camping-car et les espoirs qu’il emportait ? Je pariais qu’elle s’en battait l’œil. La Corvette sentait le propre, le net, le « briqué-à-fond ». Économiser durant des mois pour aller au bout du monde, ça ne devait pas l’effleurer des masses. Encore moins pour aller contempler le rivage de la mer de Cortés. Le prix d’un litre de fioul pour un réchaud de camping, ça ne devait pas la chatouiller non plus. On roulait depuis plus d’une demi-heure, il était bien temps de commencer à se renifler.
– C’est chouette ce que tu as fait. Beaucoup ne se seraient même pas arrêtés... Tu viens souvent sur cette plage ? 
Les mots étaient sortis vraiment cons, mais l’intention y était. Je me rendis compte que je ne l’avais même pas remerciée. La plage était déserte. Elle conduisait d’une main et passait l’autre inlassablement dans ses cheveux châtains que le vent décoiffait aussitôt. Sa chemise était nette comme dans une pub comparative. Elle engloutit le compliment en esquissant une moue. 
– C’est une promenade que je fais souvent le soir, la vue est magnifique et l’air y est moins étouffant qu’en ville. 
Elle parlait d’un ton mou en remontant le pare-soleil devenu inutile. 
– D’autant que ça faisait plusieurs jours sans sortir… 
– Je t’ai gâché la balade...
Sa main terminait sa course dans sa chevelure. Elle pencha son visage vers moi, un sourire s’amorça au coin de ses lèvres. 

​(À SUIVRE)
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BARRANCA / ÉPISODE 15

9/8/2017

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BIENVENUE DANS CETTE AVENTURE DÉJANTÉE. Chaque vendredi retrouvez ici BARRANCA en lecture libre. 

​Résumé : Après avoir fait un tonneau avec son minibus sur une plage immense, Victor est secouru par une jeune femme dans un bolide...  
​

Elle n’avait certainement fait ni le bien ni le mal dans sa vie. Pas eu vraiment le temps. Elle était nantie sans y être pour quoi que ce soit. C’était comme ça. Elle était simplement tombée du bon côté du mur à la naissance. Naître ici, c’était de toute façon tomber du bon côté du mur. Il n’y avait pas mieux. Dans cette région du globe, les murs n’ont que des bons côtés. 
Partout ailleurs, les murs poussent comme des champignons, et ceux-là, ils ont toujours un mauvais côté. Un sale côté où des chiens efflanqués, craignant les jets de pierres, filent en frôlant les parpaings gris en quête de rares déchets, où les hommes ne sont plus que des ombres, guère mieux lotis que les animaux. Les murs, ils commencent à se dresser partout sur la Terre. Ça commence par les frontières et finalement ils se dressent en se resserrant sur des hommes. Ils parviennent autour des résidences particulières. Le monde s’enferme autour de ses petits acquis. L’abondance ne se partage pas. Il allait falloir nous habituer. Nous allions vers les barbelés jusqu’à la fin des temps. Mais mon angelot ne pouvait rien à tout ce chaos. Elle profitait du bon côté sans y avoir contribué encore.
– On peut se tutoyer, si tu veux... Je connais des gens qui pourraient peut-être t’aider, coupa-t-elle sans sourciller. 
– S’ils étaient dans ton coffre, ça m’arrangerait. 
C’était nul. Mon sarcasme de naufragé des sables tomba à plat. Ce chérubin descendu du ciel avait une puissante voiture neuve sur ses quatre roues et l’insouciance qui allait avec. Je ne faisais pas le poids. Je ne connaissais rien à ces bolides rutilants à moteur V quelque chose. La plupart des bipèdes mâles de cette planète sont hypnotisés par ce genre de trucs. Moi, je me foutais complètement de ces monstres à quatre roues. Je connaissais tout juste les quatre cylindres à plat du VW que je venais d’acquérir au prix fort. Je savais qu’il valait mieux ne pas tripoter un boulon au-dessus du renifleur du moteur, sous peine de le voir disparaître dans l’orifice, avec le risque de tout bloquer. Ils m’avaient bien précisé cela chez le concessionnaire, le jour où ils m’avaient livré le combi. Je n’étais même pas sûr d’avoir tout compris. Pour le reste des bagnoles, je m’en battais l’œil. Je pensais plutôt aux réparations colossales que mon bus réclamait et je m’interrogeais sur la tête du mécène qui allait m’apporter du secours. D’un geste machinal, l’angelot vérifia le col en coton bleu de sa chemise, qu’elle lissa du pouce jusqu’à la pointe. 
– Excuse-moi, je crois que j’ai pété un câble. 
Elle sourit par compassion.
– Ce n’est pas tout près, m’annonça-t-elle, finaude, en montrant la direction d’où je venais. 
– Je ferme le bus et j’arrive... 
Elle esquissa un sourire sans conviction, puis elle se pencha en avant pour atteindre le bouton de la radio. 
– Ne laisse rien d’important, on ne sait jamais, ajouta-t-elle en haussant le ton.
Il n’y avait rien d’autre à faire. Il fallait me résigner, j’allais laisser là le minibus dans lequel j’avais mis tant d’espoirs. Je fis mentalement défiler une vague check-list en visitant virtuellement tous les recoins du minibus dans l’illusion de ne rien oublier. 
– Tu me parles ?
Quelques accords de piano filtraient par la vitre. Elle n’avait pas entendu, je forçai la voix. 
– Non, je me parle à moi-même. J’essaie de ne rien oublier.
– Je te laisse te concentrer, alors ! fit-elle sans conviction, en tripotant le volume de l’autoradio.
Je dois dire qu’elle se montra patiente. Elle monta le volume, la musique traversa l’espace lunaire. Je repris consciencieusement mon inventaire en marmonnant : « Mon fric, enfin ce qu’il en reste, mes clefs, mon passeport… » Dans le fatras, j’attrapai du bout des doigts La Longue Route, un brin dégoulinant d’un liquide non identifié, et aussi le petit dessin de Folon que Romane avait découpé dans Le Monde, juste après l’élection démocratique d’Allende au Chili. Elle me l’avait offert avant de partir et je l’avais scotché dans mon petit carnet d’adresses noir qui ne me quittait jamais. Il représentait deux types dans le style dépouillé de Folon, le premier disait à l’autre Au Chili ?, l’autre répliquait Au Chili !. 
Contact coupé, portes fermées, pas de lumière allumée… « C’est bon, je dois pouvoir y aller. » Je considérai une dernière fois mon bus couché sur le flanc. 

(À SUIVRE)


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BARRANCA / ÉPISODE 14

9/1/2017

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BIENVENUE DANS CETTE AVENTURE DÉJANTÉE. Chaque vendredi retrouvez ici BARRANCA en lecture libre. 

​Résumé : À la suite d'un pari de jeunesse insensé, Victor se retrouve dans une petite ville inconnue, du sud des Etats Unis, Santa Clara. Après un violent ouragan, Victor fait un tonneau sur la plage, en conduisant son minibus tout juste acheté...  

J’avais vu grossir la lueur des phares au loin. D’abord tout petits, se confondant, cahotant, puis devenant plus distincts, ils se dédoublaient à présent pour devenir l’expression perceptible d’un véhicule civilisé. La nuit était quasiment tombée, mais la luminosité était encore suffisante pour nuancer les couleurs du sable, de la mer et du ciel. Je ne rêvais pas, la lueur se rapprochait. Un ronflement régulier devenait perceptible, un ronron paisible de V8. Un gros moteur bien huileux avec des râteaux et des pignons, des bielles et des chevrons. Ça coinçait sûrement l’huile chaude dans le carter bouillant. J’imaginais déjà la tête du mastard en marcel qui allait débouler sous peu. Avait-il la gueule d’un bilieux obtus ou la tête angulaire d’un atrabilaire ? Avait-il une épaisse tignasse hirsute et grasse de cheveux teints ou bien une calvitie pelée de moine bouddhiste ? « Je m’en fous », pensai-je. Gros, gras, boudiné, peu m’importait, je m’en accommoderais. Le tableau était tellement lamentable. Au moins, c’était la signature ronflante d’une présence humaine au milieu de cet écrin brut. 
J’en étais encore à me demander si ce mastard allait s’arrêter, lorsque le vrombissement sourd de la puissante machine domina le roulement des vagues. La voiture ralentit et bifurqua vers moi. Pour une fois, je trouvais à tout ce cliquetis d’engrenages le charme d’un chœur de licornes effarouchées. 
La Corvette parvint mollement jusqu’à ma hauteur. Les rubans de tissu multicolores qui flottaient dans le sillage de l’antenne radio débandaient doucement. 
– Que vous est-il arrivé, c’est l’ouragan ? Vous êtes là depuis longtemps ?
Une main féminine était posée sur la portière dont la vitre avait glissé imperceptiblement. Je n’en revenais pas, mon mastard était une frêle jeune femme au teint de lait-fraise. 
– Non, ce n’est pas le cyclone... Il m’est arrivé une connerie, fis-je, accablé. 
Je n’arrivai pas à sortir autre chose. Sans parler plus avant de ma nuque qui me lançait. Je balbutiai maladroitement en triturant mes cervicales.
– L’ouragan ! rectifia la jeune femme.
– Ok, va pour l’ouragan, je ne vais pas chicaner, au point où j’en suis... J’ai fait l’imbécile et voilà le résultat. Je désignai le minibus, les roues en l’air. Impayable, non ? 
Les traces profondes laissées sur le sable par le dérapage indiquaient sans ambiguïté la trajectoire tragique que j’avais suivie.
– Il faut appeler du secours ? Vous êtes blessé ?
– Non, pas vraiment... Je ne crois pas, juste un peu mal au cou. Vous avez une corde ? 
– Vous voulez vous pendre ? 
En temps normal, j’aurais applaudi des deux mains à la vanne, mais là, je ne m’en sentais pas la force. J’étais épuisé. J’appuyai mon coude sur le toit de la voiture et je palpai les rubans chamarrés qui pendaient à l’antenne.
– Non, c’est pour…
Je réalisai la stupidité de ma requête en apercevant la conductrice derrière son volant. Elle n’avait pas vraiment un profil de camionneur. Elle était fluette, et sa frimousse angélique contrastait plutôt avec la puissance démesurée de son bolide. On pouvait même douter qu’une gamine comme elle possède le permis de conduire un tel monstre. Son visage lisse souriait dans le soir tombant. Les voyants de sa monstrueuse machine scintillaient dans le noir du tableau de bord. Il y en avait partout. Elle devait avoir seize ou dix-sept ans tout au plus. 
– Une corde ? Mon pauvre, vous ne me voyez pas tirant dessus pour relever votre bus... ?
La situation était vraiment cocasse. Outre que j’étais devenu « son pauvre », ce qui était certainement proche de la réalité, elle précisa avant que je n’ouvre la bouche :
– Pouah ! En plus, il est franchement amoché, votre camion, ne me dites pas que vous avez fait ça tout seul ! 
Sans doute, la circonstance était-elle aggravante. Ses yeux s’écarquillaient et regardaient au ciel comme pour implorer je ne sais quelle madone. 
Elle aussi avait dû rester confinée dans une cave durant la tempête. Elle était venue respirer un bon bol d’air de la mer et en bonus elle assistait en nocturne à la séance d’un numéro de cascade improvisé, avec lumières tamisées et son stéréo. De plus, le spectacle était à mes frais. 
Le contenu de mon minibus – la farine, les œufs, le beurre, assemblés en un gigantesque kouglof – devait certainement être le cadet de ses soucis. Je me disais qu’il ne sortirait rien de sa présence et que j’allais rester planté là encore un bon moment. Dans deux secondes, elle allait me débiter un prétexte à la noix et repartir pour terminer sa promenade solitaire. 
Ses yeux se levèrent à nouveau vers la madone. Cette fille avait une bouille d’angelot. 
​
(À SUIVRE)
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