Résumé : Amérique, sud des Étas-Unis, après le passage violent d'un ouragan de classe 5. Sauvé de justesse par Caroll, Victor arrive dans une communauté de marginaux à l'extrémité de la ville mise à mal par l'ouragan...
Il brandit le numéro d’un magazine scientifique comme un trophée. Il détacha la double centrale, la plia pour qu’elle prenne la forme d’un avion et la propulsa vers le centre de la grande pièce. Eduardo ramassa la flèche et ouvrit le document. Le chapeau de l’article disait, en synthèse : Lorsqu’il est descendu à une température proche du zéro absolu, le thé développe un arôme très nettement plus prononcé… Maintenant, tout le monde s’affairait sur la page. On s’était allongés sur la moquette près du canapé. Nos corps formaient une sorte de tas vivant, rigolant de bon cœur en pensant à la suite qu’on allait pouvoir tirer de cette découverte inattendue. La nouvelle en soit était assez anodine et serait passée inaperçue pour les non-spécialistes du thé ou des basses températures, mais ici, quelques-uns allaient à l’université de Santa Clara. USC, ils disaient. Darleen y étudiait la littérature japonaise et, malgré leur air de ne pas y toucher, Dan et Mik étaient scientifiques. Tous les deux étudiaient le comportement des huîtres à l’unité de USC, détachée en site naturel, à South Pass. Là, installés dans un petit cabanon, ils observaient le développement des mollusques en milieu naturel. Dan avait tout de suite eu l’intuition en découvrant la double page. La nouvelle ouvrait des perspectives ô combien enrichissantes pour ces esprits vifs. Dan tenait la revue et détaillait la méthode en question. Mik à sa droite mimait en langage des sourds-muets à notre attention chaque étape de la démonstration. Fallait y penser ! Chacun ajoutait son idée, tentant d’améliorer la performance de l’enjeu ou d’essayer d’en rendre possible la reproduction ici même. – Tu t’es abonné à cette revue, Dan ? demanda Darleen. – Je l’ai trouvée dans une corbeille à USC en venant... – Géniale, ta corbeille. Bonne pioche ! La nouvelle était d’importance car, si ce phénomène s’appliquait bien au thé, ce que décrivait l’article avec force précisions, il était vraisemblable qu’on pouvait attendre un effet similaire si on pratiquait le même protocole avec le cannabis ou toutes sortes d’herbes qui se fumaient, et chacun partit à imaginer la suite et les effets les plus incroyables qu’on en retirerait. (À SUIVRE)
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Résumé : Amérique, sud des Étas-Unis, après le passage violent d'un ouragan de classe 5. Sauvé de justesse par Caroll, Victor arrive dans une communauté de marginaux à l'extrémité de la ville mise à mal par l'ouragan...
– On va s’en occuper aussi, Victor... Bonjour, Darleen ! Eduardo est levé ? Darleen avait fait son apparition sans bruit dans la pièce lumineuse. – Il en était encore à se frotter les yeux quand je l’ai quitté, il y a quelques secondes... Je pense qu’il ne va pas tarder. – Je te fais un thé ? Dan s’adressait à elle avec attention. – Oh oui ! Je vais d’abord sauter dans un bain... Darleen flottait au-dessus du carrelage. Sa grâce naturelle lui donnait un air de perpétuelle lévitation. Elle était petite et un peu ronde. Elle n’était vêtue que d’une chemise de nuit légère qui lui arrivait à mi-cuisses, dégrafée dans le dos. La lumière dessinait l’ombre de son corps sur le tissu. Je me surpris à la suivre des yeux. – Tu as entendu la dernière, Dan ? fit-elle. Aux infos ce matin, ils disent que ça bouge à Torre Carton & Cie… Elle ajouta à mon intention : Torre Carton & Cie, c’est la seule usine de Santa Clara... Mais la priorité de la mairie, c’est la marina de luxe au bas de Presidio Hill... Tu vois... celle avec le stupide logo en forme de bouée... Torre Carton & Cie, c’est plutôt pour la taxe foncière, t’as compris le topo... Le problème, c’est que si effectivement ça rapporte gros à la ville, par contre, ça pue... dans tous les sens du terme. – La municipalité a placé l’usine un peu à l’écart, sur la route de Cap Arguello pour ne pas que ça renifle trop les vapeurs toxiques en ville... précisa Dan. Tout ce qui se passe là-haut se sait rapidement en bas... – Depuis peu, les ouvriers demandent l’ouverture de négociations sur les conditions de travail, notamment des masques de protection plus efficaces pour les vapeurs toxiques. Ils bloquent l’entrée de l’usine et, depuis huit jours, personne ne peut ni entrer ni sortir... Alors, s’il y avait du grabuge là-haut, il y en a qui pourraient se le recevoir en pleine poire en bas... – C’est les joies des périodes électorales ! – Et je peux te dire qu’ils n’aiment pas du tout ça ici ! Ça leur rappelle de trop mauvais souvenirs… – La mairie envoie les flics ? – Des cars entiers arrivent du nord, compléta Darleen. Je compris qu’il n’était pas question que McKenzie foire sa réélection pour une bande d’abrutis irréductibles qui ne seraient jamais ses électeurs. À quelques semaines du scrutin, ce conflit n’était pas fait pour arranger ses affaires. Dan proposa aussitôt qu’on y fasse un saut sans trop tarder. Il pensait glaner quelques informations pour Do-it !. Do-it ! était un journal underground dans lequel Dan écrivait de temps en temps quelques articles, ce qui lui valait de s’attirer les foudres de l’intelligentsia conservatrice de Santa Clara. Il ajouta aussitôt qu’il était préférable de ne pas prendre de voiture à cause de la plaque d’immatriculation. – Il vaut mieux y aller avec la vielle mob de Mik, en plus ce sera plus marrant ! La veille mobylette était bienvenue dans cette circonstance où la discrétion s’imposait. – Bien sûr, mais il n’y aura pas de place pour tout le monde… Deux places sur la selle, trois au maximum en se serrant bien ! – Au retour, y aura qu’à pousser jusqu’à Goofy Falls, proposa Darleen. – C’est quoi Goofy Falls ? – Un véritable coin de paradis, j’espère qu’un jour on pourra te le montrer... – Ça ne m’apprend pas grand-chose… – Il sera toujours temps, mon gros lapin… C’est sur la route de Cap Arguello. Dan ajusta son bandana. Il eut soudain un air enthousiaste et étrangement suspect. – Regardez ça, les mecs ! J’avais oublié de vous en parler. Mais je sens qu’on tient un gros poisson, là ! (À SUIVRE) Résumé : Amérique, sud des Étas-Unis, après le passage violent d'un ouragan de classe 5. Sauvé de justesse par Caroll, Victor arrive dans une communauté de marginaux à l'extrémité de la ville mise à mal par l'ouragan...
Dan fit la grimace de quelqu’un qui s’attendait au pire. Ce ne fut pas le cas. – Vingt... fit Mik en rentrant les épaules. Dan fut immédiatement soulagé. – Je n’y suis pour rien, c’est à Eduardo qu’on le doit, c’est lui qui a mené la transaction. Il s’est bien démerdé. Dan avait un joli sourire sur un visage juvénile, des yeux vifs, intelligents. C’était le genre de type qui était toujours cool. Enfin, il avait l’air cool. On peut avoir l’air cool et ne pas l’être en réalité. On ne connaît pas vraiment les gens juste en voyant leur gueule. Mais lui, il avait vraiment l’air du type qui ne s’énerve pas et qui trouve pourtant une solution à tout. Il donnait confiance avec gentillesse. Il passa la main dans ses cheveux. Il sentit que quelque chose lui manquait. – Mon bandana ! Il ajouta : De toute façon ça ne valait pas plus. Le moteur était entièrement à refaire... Tu jettes un œil sur mes Quaker, un instant ? Dan remonta sur son échelle et disparut un moment. Il revint avec un ruban rouge qu’il noua sur son front. Mik n’avait pas bougé et ne regardait même pas la casserole. Dan le remercia quand même, il savait qu’il n’y avait rien à surveiller. C’était comme ça. Ici, les portes n’étaient jamais fermées. On mettait un disque, on se servait dans le frigo, c’était la règle. Quand il était vide, quelqu’un partait le remplir. Chacun apportait sa part lorsqu’il le pouvait. – Vingt dollars, c’est toujours ça, lâcha Mik laconique, repiquant le nez dans sa soupe. Il ajouta : Il faut que je voie Eduardo ce matin... Il est levé ? – Pas vu. Je me déplaçai afin de laisser une place libre sur le banc. – J’ai un bus pour lui, dit Dan, la seule chose, c’est qu’il faut aller le chercher... Dan touillait son bol de Quaker Oats sans le quitter des yeux. – C’est loin ? demanda Mik, émergeant à nouveau. Il avala d’un trait ce qui restait de soupe au fond de son bol et ramassa ses baguettes et sa cuillère. Il se leva, repoussant avec son mollet le banc vers l’arrière. Il déposa ses couverts en équilibre sur le tas précédent. Dan repéra la place que j’avais libérée. – Relativement, mais on peut faire deux cents dollars dessus... Ou alors récupérer le moteur... Mik entra dans les toilettes. Il s’assit sur la lunette sans fermer la porte. – Ça a l’air d’être une bonne occase. La voix de Mik résonnait. Il faut aller voir. – Tu lui diras, à Eduardo, pour le fric... Il coupa le gaz et vint s’asseoir à la place de Mik, la casserole d’une main, son bol de l’autre. – Ouais... T’inquiète... – Et le mien, c’est pas une bonne occase ? Dan me jeta un coup d’œil en soufflant sur sa première cuillerée. Il n’y eut pas de réponse. Après quelques instants, il se ravisa : – C’est du business, Victor, ne te formalise pas... C’est notre mode de survie... Cool… Ne le prends pas mal... – Je pense seulement à mon bus... Pour moi, les ennuis ne font que commencer… Je sais que vous n’y êtes pour rien. – On va s’en occuper aussi, Victor... (À SUIVRE) Résumé : Amérique, sud des Étas-Unis, après le passage violent d'un ouragan de classe 5. Sauvé de justesse par Caroll, Victor arrive dans une communauté de marginaux à l'extrémité de la ville mise à mal par l'ouragan...
– Dix… Y a pire… Mik était d’origine coréenne et il n’était pas d’un naturel causant. Surtout le matin. À la lumière du jour, le salon était pire que la nuit. Je le reconnus à peine car la clarté de la baie vitrée inondait la pièce. C’était un réceptacle d’objets hétéroclites éparpillés. Le sol était toujours jonché de gobelets en carton et de cendriers. Le vieux canapé en velours usé avait l’air plus sale encore que la veille au soir. Des trous de clopes apparaissaient sur le tissu, et les taches de graisse ressortaient davantage. Sur la moquette, les auréoles persistaient. – Dan ? Je questionnai Mik, mais il avait déjà beaucoup parlé pour l’heure. Sans broncher, il pointa une sorte d’alcôve où l’on pénétrait par une trappe découpée dans le plafond. Il faut dire que personne n’aurait pu croire que quelqu’un couchait dans cette petite pièce. Je la découvris d’en bas. Trois mètres sur deux, entourée d’étagères croulant sous les bouquins. Une trappe carrée d’où descendait une échelle de corde. Ça ne laissait pas beaucoup de place mais c’était un vrai cocon. Dan dormait là-haut dans son réduit. Juste la place pour son matelas et un mètre cinquante de hauteur. La construction de bric et de broc de la maison donnait ce genre de bizarrerie où chacun pouvait trouver son coin. Dan descendit par l’échelle en chanvre, ébouriffé et pieds nus. Son pyjama, qui était un vieux kimono, restait ouvert sur sa poitrine imberbe. J’avais commencé la journée en descendant un demi-litre d’eau gazeuse directement au goulot d’une bouteille que j’avais attrapée dans la porte du frigidaire. Je n’avais pas encore déjeuné. La lumière était déjà vive et inondait la cuisine. Mik et moi étions déjà assis sur le long banc en bois. Dan le salua en premier. – Salut Dan ! J’ai fait du thé... Si tu en veux... – Ouais, ouais, je crois que je veux... Puis il se ravisa... Il y a des œufs ? Il changea encore d’avis en voyant Mik devant un petit bol chinois : Qu’est-ce que tu bouffes ? – Soupe de nouilles... marmonna Mik, manipulant ses baguettes sans sourciller. Dan opta finalement pour un bol de Quaker Oats. – On remet quoi ? – And You and I, c’est cool le matin ! L’ambiance me fascinait malgré le tas de vaisselle qui s’empilait dans l’évier. Chacun s’accommodait de la vie du voisin. Un peu partout traînaient des fourchettes, des petites cuillères et des torchons. Il semblait n’y avoir aucune contrainte. La cuisinière était graisseuse, les meubles étaient anciens avec des portes vitrées, et la peinture s’écaillait à maints endroits sur la façade. Dan se confectionna ses Quaker dans la casserole déjà utilisée pour la soupe. Les premiers accords aériens de Yes emplirent la pièce lumineuse... Tout ce bordel respirait l’atmosphère d’une agréable désinvolture. Mik se tourna vers Dan : – Sur le buffet, là, c’est le fric du buggy d’hier... Mik s’était redressé sur le banc. – Ah, c’est ça... J’ai vu... Combien il y a ? (À SUIVRE) – Faut voir ! confirma Mik.
« Faut voir, faut voir », ça ne me disait rien qui vaille. José alluma un joint qu’il fit passer puis il remit un disque. Les conversations continuaient sur des sujets dont je perdis rapidement le fil. La musique se mélangeait aux commentaires. La journée avait été très longue. La fatigue gagnait. Le canapé était accueillant, je m’y vautrai finalement. Les vieilles couvertures ramollies me faisaient un matelas de choix. J’allais sombrer lorsque, dans une demi-somnolence, j’aperçus sur le mur rouge brique du fond une longue affiche punaisée en biais, d’une couleur ocre marron comme un vieux papier à lettres. Il y était inscrit : Immonde tiers-monde tu n’auras d’obole Que la part chiée du hachis papal, t’as pas l’bol ! Je reconnus l’affiche de San Clemente Canyon et me rappelai les flics en 4x4. Les signes typographiques étaient ceux, très agrandis, d’une vieille machine à écrire. Ils présentaient des aspérités et des malfaçons amplifiées sur chaque caractère. La reproduction était telle qu’on sentait la force de chaque touche inscrite dans l’épaisseur de la pelure. – Wouhaou, c’est beau ça ! fis-je tout haut, en désignant le poster. Dan me tira de ma torpeur : – On récupère tout ce qui traîne pour la déco ! Et ça c’est une belle prise de guerre ! On recycle... Il y a une piaule là-haut, si tu veux, je te montre... Il précisa : – Prends ton temps, rien ne presse, mais tu dois être crevé, si tu veux, c’est là-haut... C’est comme tu veux... Effectivement, temps mort pour moi. La Margarita et le joint m’avaient achevé. Je hochai la tête avec une moue perplexe. J’étais bien lové, et bouger me semblait un réel effort. J’optai quand même pour un « oui » mollasson. Était-il huit heures, était-il neuf heures ? Impossible de me faire une idée, la clarté de la pièce m’enlevait tout repère. Les rires et la fumée dans la pièce sombre hier soir… La musique aussi, David Bowie, Lou Reed… Les images me revenaient. La fumée, Caroll, l’accident sur la plage, ça y est, je remettais le topo… Mon bus, le looping, le cauchemar… Je déboulai dans la pièce au rez-de-chaussée. – Salut ! Toi, c’est Mik, c’est ça ? – Ouais, salut Victor… – Il est tard ? (À SUIVRE) |
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Janvier 2018
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