BIENVENUE DANS CETTE AVENTURE DÉJANTÉE. Il y a 56 épisodes. Chaque vendredi retrouvez ici le roman en lecture libre.
Résumé : Nous avons quitté Victor sur la plage, son minibus renversé après un dérapage incontrôlé. Flash-back : Le voici à Clamart quelques temps plus tôt... Putain de lycée ! Dans l'autobus qui me ramenait vers Clamart, je jubilais en silence. Ballotté de part et d’autre au grè des pavés. Je serrais d'une main ferme la poignée de soutien en plastique pour rester debout dans la travée. C’était un mardi ensoleillé du mois de juin, les rues étaient baignées d'une lumière éclatante et tout me paraissait béatement impeccable. J’aurais parié que les voyageurs gazouillaient d’une insouciance satisfaite, dociles sur leurs sièges thermoformés. Je transpirais à grosses gouttes dans mon blazer et je sentais chaque gouttelette glisser de mon aisselle le long de mes côtes sous ma chemise blanche. Je serrais le poing. J'étais sûr de moi. Je me sentais beau. Je dominais le monde. Il n’y avait pourtant pas de quoi sauter au plafond. Je m’étais péniblement traîné au long des ces années, passant d’une classe à l’autre de justesse, redoublant parfois sans que je sache exactement pourquoi ça avait merdé. J’étais ailleurs. Je n’étais pas dans les détails. Il y avait une chose dont j’étais sûr, c’est que d’année en année, les classes étaient toujours partagées en deux. Mon intuition était simple : il y avait ceux qui allaient réussir et ceux qui allaient rester en rade. Ça se voyait sur les têtes. Les plus nombreux, constitueraient le gros des troupes qui allaient irrémédiablement pédaler toute leur vie pour faire tourner la grosse machine sans aucune chance de profiter un peu et de pouvoir souffler. C’était écrit d’avance. C’était cuit pour eux, je le voyais bien. Leurs parents les avaient convaincus par avance de l’inutilité de réussir en dehors de leur propre misère. Il était plus prudent de rester dans le giron. Ils avaient tracé un cercle invisible autour de la famille. Le mieux pour la progéniture était de ne pas s’aventurer en dehors de ce périmetre identifié. Ils les avait préparés, briefés, à se soumettre, à ne rien demander, à subir leur destinée. Chacun à sa place. Pas de place pour tout le monde. Tu finiras éboueur, telle était généralement la prédiction. J’avais bien sentis aussi que les autres n’échapperaient pas non plus à la grosse machine. Tout le monde allait y passer. Ceux-là aussi feraient tourner la bête, fut-elle immonde. Fut-elle plus conciliante, fut-elle plus douce pour eux. Eux aussi allaient trimer et courir après toutes les chimères. C’était ça son truc, à la grosse machine. Personne n’allait y échapper. Pourtant, en cette après-midi de juin, je décidais de faire l’autruche. Au moins ce jour-là. Pour une fois, la vie m'apparaissait simple et droite. Franchement, tout semblait fastoche. Simplissime. J’avais choisi de me contenter de ça pour aujourd’hui. Il suffisait d’être nickel et d'être sûr de soi pour posséder la planète entière. Et là, j’étais beau comme un camion neuf ! Adieu Martinez et ses cours de physique sur les paillasses du troisième étage. Ce matin, il n’était pas question de bouder ce plaisir trop rare. Bien mieux qu'une veste à bourrelets mous, mon blazer bleu marine à boutons dorés m’assurait une allure impeccable. Je l’avais endossé pour faire impression pour les oraux du dernier jour. Je l’aimais bien ce blazer, carré aux épaules, il glissait le long de mon torse dont il soulignait avantageusement la silhouette. Croisant ses pans sur le devant, il m'enserrait comme les plis d'une serviette fraîchement amidonnée dressée sur une table de mariage de province. Avec lui, j'étais enrobé, ceint et protégé de tout danger extérieur, tout comme croit l'être le toréador avant d’entrer dans l’arène. Tiré aux cordeaux. Prêt à servir, enserré dans sa protection illusoire, face au monstre de six cents kilos lancé comme une furie. C’est tout juste si je ne claquais pas les talons au rythme de olé imaginaires, ovationné par les usagers en liesse de l’autobus. Je venais de passer ce dernier oral et je planais véritablement dans le bus de la ligne 27, en route vers Romane. Je me demandais si elle aussi s’en était tirée. En entrant dans Clamart, l'itinéraire passait devant mon lycée. Le collège m'apparut abandonné avec sa porte principale piteusement fermée. Je pensais qu’après des années de batailles, le vieux bahut venait de perdre la guerre. Il gisait, abattu, le regard clos. Il était seize heures, le boulevard si fréquenté le matin était désert à présent. Putain de lycée ! J’en connaissais par cœur tous les recoins. Depuis sept années, j’y étais entré chaque matin par la petite porte vitrée, sous l’œil blasé du pion de service. Puis je traversais le préau pour déboucher dans la cour rectangulaire au sol en bitume. De chaque côté, un auvent de plastique ondulé jaune abritait les mille élèves, les jours de mauvais temps. Les poteaux métalliques servaient de buts pour les accros de foot. Putain de lycée ! Depuis la sixième tout recommençait comme une moulinette sans fin : les billes dans la cour à la belle saison; les calots que les grands nous piquaient puis que l'on repiquait aux plus petits l'année suivante pour les échanger à notre tour contre des soldats en plastique peint. Les interminables parties de paume avec Antoine, que nous achevions, après la cantine, les mains en sang. Tout cela avait tant compté. Tout cela subitement était terminé. Le bus 27 arrivait à la hauteur de la grande place ronde dont le décor pompeux m'avait accompagné infatigablemen durant douze années, matin et soir. Les fontaines aux allures staliniennes me tirèrent de ma rêverie. C'est là que je descendais. J'hésitais avant de poser le pied sur l'asphalte de la place. Je contemplais une dernière fois le bus et ses sièges en plastique orange. Je fermais d'un seul coup la porte de toutes ces années. Je n’aurai plus à discuter, plus à argumenter, à justifier un retard. Basta, basta, basta ! Couteau planté dans la mémoire. Putain de lycée ! Depuis le début de l'année, Romane courait de réunion en réunion d'un préau à l'autre, d'une A.G. à l'autre, inlassablement insaisissable. Toujours vêtue de sa veste en toile rouge, elle ne manquait jamais un exposé sur une lutte syndicale ou un soulèvement populaire à l’autre bout du monde. Moi, je l'attendais à la sortie. Presque toujours pour rien. Elle arrivait en retard à nos rendez-vous, éternellement désinvolte et ravie de ses nouvelles batailles. - Romane, tu sais, j'ai une idée... - Tu n'as pas cours cet après-midi ? - Une super idée… Une idée furieuse… - Viens, Victor, à deux heures trente au Centre Culturel Jean Vilar, tous les mercredis, il y a une conférence sur un thème socio-politique, tu viens ? Romane me tirait déjà par la manche vers l'arrêt du bus. - Je ne sais pas... Le Centre Culturel Jean Vilar c'est un nid de féministes acharnées... Je n’avais pas envie de ça. Ces filles en petits groupes qui jouaient les indifférentes et les discours prémâchés, la Gauloise au bec ou les clopes roulées entre deux doigts jaunis, les postures révolutionnaires en pulls cachemire… je n’y arrivais pas. Je n’y suis jamais arrivé. Je trouvais ça con. Ça sonnait faux. Ce cinoche faisait certainement partie du cheminement normal vers le statut d’adulte. Il fallait en passer par là. C’était leur vision touristique de la vie. Comme on visite le Parthénon, on doit visiter son Trotski. Moi, il m’apparaissait décidemment que la révolution était bel et bien une façon de rentrer dans le moule. C’était un comble. J’étais étranger à ce processus de mûrisserie artificiel. On n’est pas des bananes. Je voulais seulement me retrouver avec Romane. Rêver en tête à tête. Quitte à la regarder durant deux heures sans bouger, sans parler. Juste la regarder. J’étais amoureux. Depuis des mois, je lui courrais derrière. Je ne la rattrapais jamais. Je finissais toujours par céder. - …Évidemment que je t'accompagne. C’est quoi le sujet plus précisément, cette fois-ci ? Je te dis quand même mon idée ? Romane était déjà en route. J’insistais : - Voilà, on va pointer un endroit sur un globe... Au hasard et l'on s'y retrouve... Tous les deux... On y reste une semaine et on décide... - "Dix films sur l'émancipation féminine". C'est une rétrospective du cinéma féminin, montée par Solange Bertrand, tu sais, la journaliste du Nouvel Obs… Ça fera du bien à ton éducation de macho. Elle rit. - S'il y a bien quelque chose que je ne suis pas c'est macho, merde ! Dis-moi plutôt ce que tu penses de mon idée du globe. Romane fit mine de ne rien entendre. - Sinon, la conférence... Elle sortit de sa poche le programme du mois et le déplia en se tenant d’une main. C'est sur « la nécessité de lever le blocus économique, commercial et financier appliqué à Cuba par les Etats-Unis », il y aura des projections de films... Et qui va pointer sur le globe ? - Heu, toi… ou moi... Peu importe, on s'en fout ! Il y a le vieux globe en bois verni dans la salle de géo au lycée, au troisième... Si on le fait, tu marches ? - Jean Vilar c'est un bon centre, vachement actif, affirma Romane, délaissant la planisphère. À Clamart ils sont un peu en retard côté planning familial, mais pour la culture, ça va à peu près... Le bus nous déposa juste devant l'entrée du Centre Culturel. Romane nous avait tellement speedé que nous étions les premiers. Le trottoir était désert. Elle n'avait pas arrêté de parler de Cuba durant le trajet. - Tu vois, c'est malin ! Jean Vilar n'ouvre qu'à deux heures trente. Tu ne nous as pas laissé le temps de respirer et maintenant il va falloir poireauter devant les portes closes... - Tu ne vas pas en faire une maladie. On a à peine quelques minutes à attendre. On va discuter... Et d'abord je ne suis pas sûre d'avoir bien compris ton histoire de globe… C'est quoi, exactement, ton truc ? Là, je jouais gros. Il fallait être convaincant. Je n’avais pas le droit à l’erreur. Je me dis que la meilleure défense était l’attaque. - Merde, Romane, c’est toi qui répètes à longueur d'année que tu en as assez de ce monde tel qu'il est, non ? - En tout cas, je le pense, mais quel rapport ? - Il y a un grand globe terrestre en salle de géo de quatrième. Je le fais tourner, je ferme les yeux et je pointe mon doigt au hasard lorsqu'il s'arrête... - Et alors ? - Ben, c'est là qu'on va... - Qu'ON va ? À SUIVRE...
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Janvier 2018
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