Résumé : En conduisant son minibus tout juste acheté d'occasion, Victor fait un tonneau sur la plage. Il est sauvé à la nuit tombante par une frêle jeune femme en bolide rouge...
– J’allais rentrer de toute façon. Moi c’est Caroll... Alors, vraiment, ce n’est pas l’ouragan qui a retourné ton bus ? Je l’ai réellement cru tout à l’heure. Tu sais, c’était très possible, le vent a été extrêmement violent, il y a beaucoup de casse en ville... – J’en viens... J’ai passé quelque temps dans le haut de la ville... Au niveau de la rue N. Je suis resté là-bas une semaine. J’ai quitté ma chambre ce matin et je suis allé à l’aéroport accompagner une amie. Un grand nombre de vols ont été annulés à cause de la tempête… Ma copine a pu partir... mais en l’occurrence, pour mon bus, le cyclone n’y est pour rien... – L’ouragan ! insista-t-elle. L’ouragan ! – Enfin oui, la tempête ! Bon, moi c’est Victor... Tu es restée en ville pendant cette… tempête ? – Des ouvriers ont calfeutré toute la maison, on a mis des plaques de bois sur les portes et les fenêtres... Nous n’avons pas été trop touchés de notre côté. Elle fit une pause de quelques secondes avant de reprendre, professorale, en rythmant sa phrase : – Aussi parce que c’était un ouragan, Victor ! Il n’y a pas de cyclones par ici. Heureusement, parce que nous ne serions plus là pour discuter... C’est pour ça que je te reprends à chaque fois. J’observai son jeune profil en contre-jour dans l’embrasure de la portière. – Dans les ouragans, comme tu as pu t’en rendre compte si tu étais là dès le début, le vent forcit très rapidement. Il vient de la mer. Les papiers puis les bouts de toiture volent de tous côtés. Ça dure plusieurs heures de tourmente, puis ça se calme d’un seul coup. On croit que c’est fini. C’est parce qu’on est dans l’œil, le centre de la tempête. Et tout recommence de plus belle. Le vent repart mais dans l’autre sens... Les cyclones sont encore plus violents. Ce sont des ouragans en concentré ! Ils peuvent atteindre trois cents kilomètres à l’heure, quand dans l’ouragan les vents ne dépassent pas cent trente kilomètres à l’heure... Alors tu vois, il vaut mieux que ce soit un ouragan, fit Caroll sans attendre de réponse. – Et c’est à toi cette... La question me brûlait les lèvres depuis le premier instant de notre rencontre mais je ne savais comment la poser tant elle pouvait paraître désobligeante. Mon hésitation la rendit encore plus balourde. – … C’est à toi cette voiture ? Ça fait au moins 350 chevaux, un truc pareil... Je regrettais déjà la question. La main de Caroll repassa dans ses cheveux, comme si le vent devait cesser. – 380 ! corrigea-t-elle. Mon père me l’a offerte en mai dernier pour mon permis lorsque j’ai eu seize ans. Je dus babiller que c’était un sacré cadeau et qu’elle avait sûrement un très gentil papa. Je m’étais un peu forcé pour trouver un compliment potable. Cette fille était nickel sur elle, son jean sortait sûrement du pressing. Elle le portait pour la première fois de la journée et ce soir il rejoindrait sûrement le panier de linge sale. Elle sortait de ces maisons où le lave-linge tourne dix fois par jour, toujours à moitié vide. En vérité, je pensais que décidément certains avaient le cul bordé de nouilles à la naissance et que cet ange-là devait avoir plus de blé que la moyenne des habitants de Santa Clara. Je la considérais avec ses petits plis bien mis le long de sa chemise, ses manches retroussées, son duvet blondinet sur les avant-bras. Comme dans un magazine féminin où les filles n’ont jamais un poil qui dépasse. Tout est bien rangé comme le plumet de ses avant-bras. Tous les poils dans la même direction, parallèles ! Dans ces magazines, rien ne dépasse, ni du slip, ni de la tête, ni de rien. Sans bavure, sans excès. J’imaginais des seins ronds dans des petits balconnets blancs, juste à la bonne taille pour les galber un peu, choisis avec délicatesse en prenant son temps. Des petits seins ronds, pas trop gros, pas trop vulgaires, un calibrage idéal pour appâter un prince charmant de bonne famille. Elle avait dû faire déballer toutes les boîtes, essayer une douzaine de modèles après s’être ravisée à chaque fois devant la vendeuse excédée qui souriait tout de même béatement. Ses mollets étaient fins et délicats. C’était suffisant pour presser doucement la large pédale d’accélérateur qui ne demandait que ça pour développer ses 380 chevaux. La Corvette avait une boîte automatique. On appuyait pour avancer, on appuyait pour ralentir. C’est tout. La vie de Caroll était aussi simple que ça : elle appuyait pour avancer, elle appuyait pour ralentir. Jusque-là, sa vie consistait juste à choisir ce qu’elle voulait. La Corvette obéissait et tous les objets de son univers obéissaient. Bon sang ! Sans même la ramener morale avec un pays comme la Mauritanie où un seul de nos robinets d’évier équivaut à deux années de salaire d’un berger avec ses chèvres, sans vouloir faire pleurer dans les chaumières avec des histoires de petits Africains qui ne mangent pas à leur faim, putain, tout de même, il y a des gens qui naissent avec juste ce qu’il faut, là où il faut ! – On se déplace très peu à pied, se justifia-t-elle. Tu n’es pas de la ville, ça se voit. Ici, on fait tout en voiture... Trois pélicans prirent leur envol en rasant les flots. Caroll augmenta légèrement le son de la radio. C’était encore ce tube matraqué en permanence entre deux avis météo depuis deux semaines. – Tu fais tout en voiture... Tu ne nages pas avec ta Corvette tout de même ! – Dans la mer ? Caroll parut indignée. (À SUIVRE)
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Janvier 2018
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